samedi 10 janvier 2009

article de Libé du 7 janvier 2009: contôleur des prisons

Le contrôleur général des prisons pointe les tensions de la détention
Vie carcérale. Le rapport de Jean-Marie Delarue, publié aujourd’hui, avance six propositions.

En juin, Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux privatifs de liberté, visitait la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône) avec quatre autres contrôleurs. Son rapport a ensuite été remis aux ministres de la Santé et de la Justice, qui ont répondu à ses remarques. Le Journal officiel publiant le texte aujourd’hui, le contrôleur a choisi de mettre en avant six recommandations qui lui paraissent avoir «un degré de généralisation important». Des failles que l’on retrouverait dans la plupart des 15 autres établissements pénitentiaires visités depuis septembre.
Le moment choisi pour cette première médiatisation n’est peut-être pas tout à fait un hasard, entre une vague de suicides carcéraux et une loi pénitentiaire en préparation. «Il ne m’appartient pas de prendre parti sur les projets parlementaires du gouvernement», répond Jean-Marie Delarue lorsqu’on lui pose la question. Avant d’ajouter dans la foulée qu’il lui «appartient de prendre appui sur les propositions qui peuvent [lui] être faites».
Concernant les suicides, aucun des trois survenus en 2008 à Villefranche, avant sa visite, ne lui a semblé mettre en cause le fonctionnement de la maison d’arrêt. Mais ce thème se retrouve en filigrane dans les six propositions exposées hier.
De pervers parcours individualisés
La loi pénitentiaire en préparation prévoit des parcours d’exécution des peines différenciés d’un détenu à l’autre. Une idée louable, issue des règles pénitentiaires européennes. Mais le contrôleur général a mesuré à Villefranche quelques effets pervers. Les détenus paraissant réinsérables y bénéficient d’une amélioration progressive de leur régime de détention, dans un bâtiment où les surveillants sont tous volontaires et où les prisonniers ont un accès privilégié au téléphone et aux promenades. La sélection serait parfois arbitraire et la situation vécue comme ségrégative. «Les détenus comprennent que certains sont dans un quartier d’excellence, d’autres dans le quartier des damnés», résume Jean-Marie Delarue.
Les recours défaillants
Lorsqu’un détenu veut se plaindre d’un dysfonctionnement, d’un surveillant qui le traiterait mal, il doit écrire un mot. Et qui le transmet à la hiérarchie ? Le surveillant d’étage, «qui commence par l’ouvrir», ont découvert les contrôleurs. «Le droit de protester, à tort ou à raison, doit être effectif et il doit recevoir une réponse, quelle qu’elle soit, dit Jean-Marie Delarue. Trop de recours sont étouffés par crainte, par impossibilité. Ils restent, c’est le cas de le dire, lettre morte. Cela conduit au repli sur soi ou à la violence.»
Les directeurs trop éloignés
La pénitentiaire a mis en place une génération de directeurs souvent remarquables, mais trop éloignés de la détention, selon la mission. Accaparés par d’autres tâches, ils ne peuvent comprendre tout ce qui se joue. Les remettre «au quotidien ou presque» en détention serait indispensable, selon le contrôleur général, pour que «le cœur de la mission reste de s’occuper des détenus et des surveillants», et pas de l’intendance.
La violence des promenades
A Villefranche comme dans de nombreuses prisons, les cours de promenade sont des «lieux absolus de non droit» trop dangereux pour que les surveillants «s’y aventurent». Une part des violences qui s’y déroulent leur échappe. «Toutes les combinaisons, tous les coups et tous les rackets sont possibles», dénonce Jean-Marie Delarue. Trois semaines avant sa venue, une bagarre extrêmement violente a opposé des détenus; pour la plupart géorgiens, à d’autres détenus, d’origine maghrébine. Bien des détenus ne veulent plus aller en promenade et c’est un critère pour les contrôleurs, qui demandent leur nombre en arrivant dans une maison d’arrêt. Souvent, les directeurs ne le connaissent pas.
A l’ombre des grilles
L’administration pénitentiaire fait poser des «caillebotis» dans ses établissements. Pas des terrasses en bois exotique, mais des grilles aux mailles serrées, pour interdire le «yoyotage» (la transmission d’objets de cellule en cellule). «Cela se traduit par une diminution drastique de la luminosité et de la visibilité, témoigne Delarue. Les détenus racontent qu’ils ont l’impression de passer de la lumière à l’ombre. Le rythme biologique se brise. L’accès au ciel est interdit.» Cela aussi, conclut-il, conduit à la violence, à l’autoagression.
Des éducateurs dans la paperasse
Le rapport des contrôleurs éreinte le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), dont les salariés sont noyés sous la paperasse à remplir, jusqu’à ne plus prendre le temps de rencontrer les détenus. Cela conduit encore à la frustration de tout le monde et, une nouvelle fois, au repli.
Rendues avec le rapport définitif, ces recommandations générales n’appellent pas de réponse formelle des ministres concernés, aux termes de la loi. Mais Jean-Marie Delarue croit savoir que la garde des Sceaux a «reconnu le bien fondé» de certaines de ses observations. Il promet de retourner à Villefranche-sur-Saône pour voir si quelque chose a bougé.