mercredi 8 avril 2009

Prisons : pour le contrôleur général des prisons, la "sécurité passe aussi par le respect de l'intimité"

Le Monde, le 8 avril 2009

"Devoir être examinée par un chirurgien en présence des surveillantes a été pour moi une grande humiliation… De plus, en restant menottée, avec la chaîne ! Vous comprendrez à quel point je me sens aujourd'hui considérée comme une bête."
Cette lettre d'une détenue a été placée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, au centre de son rapport annuel, rendu public mercredi 8 avril. La prisonnière, opérée dans un service d'urologie, confie qu'elle préfère à l'avenir mettre sa "santé en danger" que "d'être humiliée encore une fois".

Même privée de sa liberté, une personne ne doit pas voir son intimité sacrifiée aux impératifs de sécurité, affirme le contrôleur général, dont c'est le premier rapport depuis sa nomination en juin 2008. En garde à vue, en prison, dans les centres de rétention et dans les hôpitaux psychiatriques, M. Delarue et la vingtaine de contrôleurs de son équipe ont recensé de nombreuses atteintes à ce droit "qui est une part de la dignité humaine". Dans tous ces lieux, regrettent-ils, "la recherche de sécurité prévaut sur la préservation de la personnalité". En outre, "les conditions de viegénèrent en elles-mêmes des atteintes à l'intimité".

La prison, où vivent 63000 personnes, est "le lieu le plus difficile pour la sauvegarde de l'intimité". Cela commence par les fouilles à corps portant jusqu'aux parties intimes : "Dans certains endroits le détenu dénudé [peut] se voir exposé à d'autres regards que celui du surveillant procédant à la fouille." Ces fouilles se répètent à chaque entrée et sortie, pour aller à l'hôpital par exemple, où le détenu est menotté, "ce qui en fait une sorte de pilori moderne", écrit M. Delarue.

"ATTEINTE À LA DIGNITÉ"

La surpopulation empêche toute intimité. Le rapport donne l'exemple d'une cellule de 10,5 m2 avec trois lits et un matelas au sol. Le cloisonnement des WC est insuffisant : "Dans la plupart des cellules, les personnes assises sur la cuvette doivent maintenir ouverts les battants de porte." Il s'agit là, pour M. Delarue, d'"une atteinte à la dignité". La lettre de la détenue au contrôleur témoigne bien, selon lui, que "l'accès au soin ne respecte pas la confidentialité de la situation médicale". Dans un établissement, les dossiers médicaux sont accessibles aux surveillants. L'intimité est, aussi, difficile à obtenir dans les relations avec la famille. La durée des parloirs est "trop limitée". Plus généralement, "le système pénitentiaire a de mauvaises relations avec les familles de détenus".

Dans les centres de rétention, qui abritent 35000 étrangers, les atteintes à l'intimité sont aussi fréquentes. Au-delà de la fouille, le contrôleur juge inexplicable le fait d'interdire les stylos et crayons dans certains centres pour des raisons de sécurité. Alors qu'elles sont en principe libres, les visites aux personnes retenues ont parfois lieu dans des espaces ouverts sans possibilité de s'isoler.

Au quotidien, les retenus subissent une vie en commun vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils doivent partager leur chambre avec deux, trois, voire six personnes. Souvent, ils ne disposent même pas d'un placard fermant à clé pour leurs effets personnels. Ils sont contraints d'utiliser des sanitaires communs. C'est en garde à vue (578000 comptabilisées en 2008) que l'intimité des personnes est "la plus malmenée".

Là, l'omniprésence de la sécurité écarte de façon "manifeste" toute prise en compte de cette préoccupation. Les cellules des locaux de police et de gendarmerie sont les "lieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres". Fermées par une grille ou une façade vitrée, les cellules sont sous constante surveillance. La lumière, souvent maintenue de jour comme de nuit, comme la dimension de la cellule empêchent tout repos réel. Une situation d'autant plus grave, que certains gardés à vue sont jugés en comparution immédiate, juste après leur sortie.

Pour illustrer ces excès, le contrôleur a pris le ton d'une "fable" : "Le soutien-gorge et les lunettes", objets retirés car considérés comme dangereux au même titre que les lacets et les chaussures. Pourtant, relève-t-il, "on conçoit difficilement que la baleine [de soutien-gorge] devienne un tranchant redoutable. (…) La chronique des commissariats et des brigades recèle peu de récits d'attaques au soutien-gorge…".

Pour M. Delarue, il n'est pas possible de laisser se développer sans limites les mesures de sécurité. "La sécurité, insiste-t-il, passe aussi par le respect de l'intimité nécessaire, puisque la vie dans les lieux de privation de liberté sera d'autant plus pacifiée que les droits de la personne y sont reconnus." Cela vaut pour les établissements concernés, mais aussi pour le reste de la société : "Il n'y aura de modifications importantes en prison qu'au jour où l'opinion aura compris que sa propre sécurité passe par une amélioration substantielle de la détention."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

où peut on donc se procurer ce rapport ?