jeudi 6 mars 2008

A la prison de Poissy, les gardiens lisent un délit dans le marc de café

LIBERATION

Les surveillants de prison abusent-ils de la série les Experts sur TF1 ? A la maison centrale de Poissy (Yvelines), quatre d’entre eux ont en tout cas voulu jouer les enquêteurs en herbe. Leur mission (qu’ils se sont auto-attribuée) : piéger en flagrant délit un détenu qu’ils soupçonnaient de consommer du haschich. Leurs moyens : dispositif de planque dans un appartement en hauteur et derrière une haie. Et fabrication artisanale d’un leurre : du marc de café destiné à faire office de faux haschich.









On ne peut s’empêcher de sourire à la lecture ahurissante de la procédure qui découle de leur scénario alambiqué. Mais l’initiative - à laquelle la direction de la prison n’a apparemment rien trouvé à redire - a tout de même abouti à une punition lourde envers un détenu, Roger Q. Son tort : avoir ramassé du marc de café. Sa sanction : deux jours de mitard (quartier disciplinaire) et la perte de son emploi - il travaillait comme agent au mess, la cantine des surveillants.

Les faits remontent au 2 février. Le matin, une surveillante trouve un paquet de haschich à l’entrée du mess des agents. Juste à côté, dans la cour, Roger Q., la cinquantaine, prend sa pause et fume une cigarette. La surveillante ramasse le paquet, et va trouver un de ses collègues. «Avec l’attaché, le lieutenant, la surveillante, nous avons fabriqué un colis factice», raconte ce dernier dans un compte rendu adressé à la directrice de la prison. Comme ils ne disposent pas des moyens de la police scientifique, ils font avec les richesses de la cantine, et le «colis factice», du marc de café emballé dans du papier d’alu, est replacé à l’endroit où a été découvert le haschich.

«Aux aguets». La surveillante va alors se «cacher», comme l’atteste son compte-rendu à la directrice, «au premier étage du bâtiment d’hébergement des surveillants». Elle consigne scrupuleusement par écrit le fruit de son observation. «J’ai vu le détenu B. sortir de la cuisine du mess, allumer une cigarette et guetter les alentours […] C’est alors que le détenu Q. est lui aussi sorti de la cuisine du mess. […] Ils sont restés aux aguets pendant à peu près une minute, puis le détenu Q. s’est retourné et baissé pour ramasser le colis.»

Un de ses collègues est planqué derrière une haie. Il aperçoit également les deux détenus. Il faut saluer l’honnêteté de son compte-rendu, qui fait état d’une fâcheuse défaillance dans le dispositif. «Je ne peux pas dire si l’un d’eux a ramassé ce colis factice, explique-t-il, j’étais caché par la haie.»

Roger Q. est immédiatement placé au mitard. Il reconnaît avoir ramassé le paquet, qu’il dit avoir jeté à la poubelle. «Je suis pro-environnement», précise-t-il. Après deux jours d’enfermement en cellule disciplinaire, la commission de discipline statue sur son sort. Là encore, la teneur des documents de l’administration pénitentiaire est pour le moins déconcertante. On reproche à Roger Q., par écrit, d’avoir «ramassé un paquet qui contenait une substance illicite» - en l’occurence, donc, du marc de café. La commission de discipline fournit ensuite à sa décision des motivations très détaillées : «Roger Q. reconnaît avoir regardé le magnolia et les mésanges. Il reconnaît aussi avoir été proche du barbecue et du mur. Il reconnaît s’être baissé pour ramasser un déchet d’aluminium.» Mais, précise la commission, auparavant, il s’est également «promené sur le terrain de boules». Or «l’inspection des lieux a révélé la présence de quelques déchets (papiers , briques de jus de fruit). L’administration estime que si Q. demeure un adepte de l’environnement, il aurait dû ramasser ces petits déchets de la même manière que celui pour lequel il passe ce jour à la commission de discipline». En vertu de ces constatations, Roger Q. est donc condamné à deux jours de mitard (déjà effectués en préventive) et à un «déclassement», qui signifie la perte de son emploi.

«Inacceptable». «On est face à un grave abus de pouvoir des services pénitentiaires», déplore François Bès, de l’Observatoire international des prisons, que Roger Q. a alerté. «Il est moralement inacceptable et juridiquement inadmissible d’avoir recours à de tels stratagèmes pour piéger un détenu, renchérit Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’Etat, spécialiste du droit pénitentiaire. On ne peut laisser sanctionner disciplinairement un individu qui a seulement ramassé un détritus sur la seule foi de surveillants qui prétendent que ses intentions étaient coupables. La prison ne saurait devenir une zone oubliée du droit.»

Roger Q. a formulé un recours hiérarchique auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris. Il demande l’annulation de la décision, et implore un «regard objectif sur cette bizarre histoire qui ne tient pas debout».

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