lundi 2 mars 2009

Loi pénitentiaire: refuser ce rendez-vous de dupes

Source : libération

Le projet de loi pénitentiaire, qui est examiné à partir de mardi au Sénat, témoigne de la détermination de l’administration pénitentiaire à faire échec à toutes velléités réformatrices.


PATRICK MAREST est délégué national de l’Observatoire international des prisons.

Le projet de loi pénitentiaire est examiné à partir de mardi au Sénat. Là même où le constat dressé à l’issue des travaux des commissions d’enquête parlementaires, en 2000, fut le plus accablant. Il n’est pas inutile d’en rappeler la conclusion, qui donnât son titre au rapport sénatorial : «Prisons: une humiliation pour la République». Près de neuf années nous séparent de ce moment singulier où les élus de tous bords posèrent un regard lucide sur le désastre humain et social des conditions de vie et de travail derrière les barreaux. Mais, aussi et surtout, où ils prirent conscience, dans la foulée du Premier président de la cour de cassation, Guy Canivet, d’une autre dimension de la réalité carcérale. Celle d’un monde à part, hors norme, «régi par du sous-droit», au sein duquel l’exercice des droits fondamentaux de la personne détenue est subordonné «à ce qui est objectivement, voire subjectivement, compatible avec l’ordre, la discipline et la sécurité, les “droits” tendant alors à devenir des faveurs, des privilèges accordés ou retirés selon ces impératifs, voire à être annihilés».

Face à ce constat, celui qui était alors le plus haut magistrat de France préconisait l’intervention du législateur pour déterminer un régime de détention «conforme aux principes fondamentaux d’un Etat régi par la prééminence du droit et l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme». Le Parlement devait dès lors être guidé par la conviction que «pour résoudre le paradoxe qui consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que de rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile.»

Nous étions en 2000 et cette réforme du droit de la prison n’a jamais trouvé place dans l’agenda politique. Parce que priorité fut donnée à la réorientation radicale de la politique pénale vers un accroissement et un durcissement de la répression, notamment à l’égard des récidivistes. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que la révolution culturelle et juridique promue par le rapport Canivet, et à sa suite par l’ensemble des instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme, n’a jamais trouvé grâce aux yeux de l’institution carcérale. La nature du projet de loi déposé par le gouvernement sur le bureau du Sénat en juillet dernier témoigne de la détermination de l’administration pénitentiaire à faire échec à toutes velléités réformatrices qui aboutiraient à la priver de sa mainmise sur les règles du jeu intramuros ou à minorer son emprise sur les personnes dont elle a la charge.

Les tenants et les aboutissants des enjeux du texte qu’elle a déféré au Parlement sont explicites. L’objectif premier que s’est fixé l’administration pénitentiaire au travers de la loi est de balayer «une approche égalitaire des détenus, qui restreint la possibilité de créer des catégories, qui interdit de considérer que telle caractéristique prédispose à tel comportement», l’ayant empêché «de parvenir à une véritable classification des détenus». Il s’agit avant tout, sous couvert du postulat selon lequel l’hétérogénéité de la population incarcérée oblige à la différenciation des régimes de détention, de perpétuer la compétence qui lui est aujourd’hui concédée de moduler à sa guise l’effectivité des droits éventuellement reconnus par le législateur. Autrement dit, à défaut de pouvoir s’opposer à la poussée inexorable des droits des détenus, l’administration pénitentiaire prend les devants en tentant de préserver l’essentiel de son pouvoir discrétionnaire.

Qu’importe si la notion de «dangerosité» qu’elle retient comme pierre angulaire de ses critères de classification n’a aucune assise scientifique, et pas davantage de justification empirique. Qu’importe si cette institutionnalisation de l’arbitraire dans les décisions d’affectation des détenus ne manquera pas de susciter une série de dérives et d’incidents qui viendront alimenter le discrédit qui frappe d’ores et déjà l’institution et accroître le climat délétère qui règne derrière les murs. L’enjeu immédiat est de se préserver des foudres des juridictions administratives, et au premier chef du Conseil d’Etat qui ne manquera pas de relever l’absence de base juridique de ces régimes différenciés, expérimentés à l’abri du regard du législateur depuis quelques années. La gestion sécuritaire des détentions est à ce prix. Et là réside l’essentiel de la commande politique.

Dans ces conditions, la décision gouvernementale de déclarer l’urgence sur le projet de loi doit être interprétée à sa juste valeur. La procédure retenue vise concrètement à faire obstacle à ce que la représentation nationale puisse exercer pleinement ses responsabilités au travers d’une double lecture dans les deux chambres. Il ne tient qu’aux parlementaires de ne pas se laisser déposséder du «grand rendez-vous de la France avec ses prisons» annoncé par la Garde des Sceaux dès l’été 2007, ajourné depuis lors sans la moindre explication et désormais précipité sans raison.

La qualité exceptionnelle de la démarche d’analyse et de mise en perspective à laquelle ils s’astreignirent dans le cadre de leurs commissions d’enquête suggère d’adopter désormais une attitude en rapport avec cet engagement d’antan. La hauteur de la fonction dévolue au législateur l’appelle dans un même mouvement à sanctionner d’un vote négatif unanime le texte qui lui est proposé, et à organiser la mise en chantier immédiate d’une réforme de la prison digne de ce nom.

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