lundi 30 mars 2009

Une loi pénitentiaire sans vision - Le Monde

02/03/2009 - Libération

Une loi pénitentiaire sans vision

Marie-Paule Héraud présidente de l’Association nationale des visiteurs de prison, Arnaud Philippe président du Genepi (Groupement étudiant national d’enseignement des personnes incarcérées)et Gilles Sobieski président de la Farapej (Fédération des associations réflexion action prison et justice).

Nous représentons plus de 5000 citoyens bénévoles intervenant chaque jour au sein de l’univers carcéral. Individuellement et collectivement, nous accompagnons et aidons toute personne détenue - quelle qu’elle soit et quoi qu’elle ait pu commettre - à se réinsérer après avoir purgé sa peine. Au-delà des valeurs humanistes qui nous animent, nous sommes des observateurs éclairés de ce qui se vit au sein des prisons et, comme d’autres experts, nous voulons nous exprimer sur toute modification législative permettant de donner un sens positif - pour l’homme et la société - à la peine de prison.

Le projet de loi pénitentiaire qui va être soumis demain aux parlementaires ne s’avère pas à la hauteur des attentes des partenaires de l’administration pénitentiaire que nous sommes. Il ne répond pas de façon satisfaisante à la situation extrêmement critique des personnes détenues ni aux besoins des services de réinsertion et des personnels de surveillance.

Certaines avancées comme les aménagements de peine ouvrent des pistes intéressantes dont il conviendra de mesurer l’impact réel : elles apportent du sens à la peine en rappelant qu’enfermement et sanction ne sont pas synonymes et que toute peine de prison doit permettre la réinsertion. Pour l’heure cependant, elles semblent répondre d’abord à une logique d’ajustement conjoncturel pour le désengorgement des prisons.

Le projet de loi en l’état actuel est bien en deçà d’une loi d’orientation telle qu’annoncée par la garde des Sceaux dès sa nomination : aucune vision claire de ce que doit être la peine à l’intérieur des murs de la prison ne se dégage, faute de clarification des missions de l’administration pénitentiaire. Ces missions restent définies en creux : la garde est en fait la fonction principale, des motifs d’ordre ou de sécurité pouvant justifier la restriction de presque tous les droits fondamentaux des détenus ; la réinsertion, elle, reste secondaire.

Alors que la France est régulièrement pointée du doigt - notamment par la Cour européenne des droits de l’homme - à propos de ses prisons, alors que notre pays a présidé l’Union européenne durant six mois, nous espérions que les règles pénitentiaires européennes seraient largement prises en compte : elles le sont mais a minima. Ainsi, le report de l’encellulement individuel en 2012 pour les personnes placées en détention est d’autant plus insupportable qu’il est inscrit dans la loi depuis juin 2000 !

Notre déception est donc forte, mais nous sommes aussi très inquiets de l’absence de réponses convaincantes à cette question essentielle : nos prisons vont-elles enfin être utiles ? Rien n’est moins sûr.

Comment atténuer sérieusement les risques de récidive sans augmenter réellement le personnel dédié à la préparation à la sortie ? Comment développer efficacement les alternatives à l’emprisonnement sans assurer à l’institution judiciaire les moyens nécessaires au suivi permanent et sécurisé des personnes qui en bénéficieront ? Comment donner la possibilité à la personne condamnée de réparer le tort causé aux victimes et à la société sans lui assurer l’accès à un travail justement rémunéré en prison et une formation facilitant l’obtention d’un emploi à sa sortie ? Sur tous ces aspects, le projet de loi reste très discret, renvoyant à des décrets ultérieurs hors du débat parlementaire. Certes des progrès sensibles viennent d’être apportés par les amendements que propose le sénateur Jean-René Lecerf. Mais ils sont encore insuffisants.

La société à laquelle nous appartenons se jugeant aussi sur l’état de ses prisons, nous allons poursuivre dans les semaines à venir des actions de sensibilisation auprès des parlementaires pour que cette loi pénitentiaire ait du sens. Ainsi, pour que les droits non retirés par une décision de justice puissent être exercés par la personne incarcérée, il convient que les ministères concernés (Santé, Travail, Education nationale, Logement) s’impliquent plus fortement et assument la mission de service public qu’ils ont vis-à-vis de toutes les personnes vivant en France, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de la prison. Pour que les citoyens et leurs élus exercent à bon escient leur jugement et leur droit d’expression sur nos prisons, il est indispensable que cette loi pénitentiaire, en tant que politique publique, soit assortie d’une procédure d’évaluation démocratique et publique.

Pour combattre la désinformation de nos concitoyens par des discours démagogiques sur la dangerosité et les risques de récidives, les pouvoirs publics et le personnel politique ont une mission pédagogique et urgente à engager : montrer ce qu’est la prison et expliquer ce qu’elle devrait être.

1 commentaire:

Max a dit…

Bonjour,

Je me permets de vous signaler l'ouverture du blog de Jean-René Lecerf, Sénateur et Vice-Président de la Commission des Lois, spécialiste des questions judiciaires et pénitentiaires (Rapporteur des projets de loi pénitentiaire et de celui sur la récidive):

http://jeanrenelecerf.hautetfort.com

Vous trouverez dans la rubrique "mes activités parlementaires" de nombreux billets sur la question des prisons, des soins en prison, de la récidive...

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