lundi 14 avril 2008

Passe Murailles, la publication du GENEPI

Passe-Murailles est la nouvelle revue du GENEPI, elle compte 6 numéros par an et a succédé à la « Lettre de GENEPI ».

Directeur de publication : Pierre Méheust
Responsable éditoriale : Eve Fitoussi
Rédactrice en chef : Claire Van den Bogaard

Pour contacter la rédaction : GENEPI – 12 rue Charles Fourier, 75 013 PARIS. publication@genepi.fr, 01 45 88 37 00

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Actualités :
- La rétention de sûreté : suite et fin ?
Dossier :
- Introduction
- Le droit des victimes
- Quelle place pour les victimes ? (Entretien avec Anne d’Hauteville)
- Le rôle de l’État dans les associations d’aide aux victimes
- Les victimes d’infractions sexuelles
- Enfants victimes/mineurs délinquants ?
- La victime dans le procès
- La justice restaurative
Rubrique culturelle :
- Nous avons lu pour vous
- Nous avons vu pour vous


Editorial de la revue Passe-Murailles n°12 – « Tous victimes ? »
Par Pierre Méheust, président du GENEPI

Oui, dans une certaine mesure, nous sommes tous les victimes de l’infraction parce que celle-ci
est une transgression du pacte social. En ce sens, porter atteinte à un individu, c’est risquer de mettre en péril l’équilibre de la société. C’est donc cette société qui se retournera à un moment contre l’auteur de l’infraction. On présente parfois le cadre juridique français comme indifférent aux victimes, la réalité est bien plus complexe. Par l’intervention de l’État (représenté par le Ministère public), la société semble prendre sur elle la douleur de la personne qui a été victime comme pour la décharger d’un poids trop lourd à porter. Le système juridique français et sa procédure pénale, inspirés du modèle inquisitoire, sont protecteurs de la personne victime bien plus qu’ils ne lui sont indifférents.

Mais avant d’entrer dans le coeur même du sujet, il est nécessaire d’étudier de plus près le contexte lexical qui nous permet de désigner la personne qui, à un moment, a subi un préjudice. On parle aujourd’hui de « la victime » ce qui permet de nommer facilement sans pour autant entrer dans la complexité nécessaire de la définition. De plus, le mot « victime » est susceptible d’être utilisé dans des contextes très différents. Enfin, puisque les mots ont un sens profond, on doit s’interroger sur la construction grammaticale qui fixe les victimes dans un éternel présent. En effet, à trop vouloir mettre en avant la légitime douleur de la personne, une simplification s’opère : on ne parle pas de la personne qui a été victime mais de la personne qui est victime. Le présent se prolonge alors indéfiniment et tout exercice de reconstruction devient impossible1. Refuser d’utiliser ce présent c’est, au contraire, resituer l’atteinte dans le temps, c’est tenter de donner une temporalité : un
commencement mais surtout une fin à l’effraction du lien social et du lien intersubjectif.

Depuis plus de 25 ans maintenant, la prise en considération dans le processus judiciaire de la personne qui a été victime s’est considérablement améliorée même s’il reste encore beaucoup à faire. L’influence de M. Badinter, Garde des Sceaux a été décisive sur le sujet, sa vision d’ensemble du Droit lui a permis de proposer des évolutions ambitieuses et progressistes. Il porte la loi d’abolition de la peine de mort devant le Parlement mais pourtant, la loi qui portera son nom est une loi de protection des personnes qui ont été victimes d’accidents. « Et j’en suis très fier » ne manque-t-il pas de faire remarquer. De plus, il a compris que l’aide aux victimes ne pourrait être abordée que dans un contexte global, par le droit bien sûr, mais aussi par la société civile. Il est à l’origine du développement des associations d’aide aux victimes et expliquait, lors du congrès des 20 ans de l’INAVEM (Institut national d'aide aux victimes et de médiation). « J’étais convaincu que ce qui convenait était de réussir à partir d’associations afin que cela pénètre en profondeur dans la société française ».


Dès lors que l’on est attaché au concept de Droit de l’Homme et de Libertés fondamentales, on
perçoit qu’il est ridicule de partitionner le Droit2. La création du juge des victimes et sa présentation par la Garde des Sceaux comme étant le pendant du juge de l’application des peines pour les détenus témoigne d’une partition du droit, d’une conception éclatée et sans cohérence de la Justice. Le GENEPI s’est déjà interrogé sur la question de la place de la victime dans le procès pénal. Nous étions arrivés à une prise de position (en juin 2005) qui mettait en exergue les dangers de l’amplification de la place de la partie civile dans le procès pénal au nom d’une inquiétante vision du procès comme « justice thérapie ». Nous nous étions inquiétés de ces plaidoiries de parties civiles allant jusqu’à aborder la peine et néanmoins nous défendions le développement des procédures d’aide et d’accompagnement : « L'attention portée à la victime ne doit pas passer par la recherche d'une condamnation sévère mais par une attention plus grande portée à sa détresse, une aide à se reconstruire. »

Dans son dernier livre, L’homme compassionnel (Seuil, 2008), Myriam Revault D’Allonnes s’interroge sur le sentiment de compassion, nouvelle forme de légitimité et nouveau moteur de l’action politique. Avec elle, nous nous inquiétons de la disparition du discours politique des notions d’inégalités ou d’injustices au profit d’un diktat de l’affect qui nous empêche de nous projeter dans l’avenir et d’envisager avec rationalité et sérénité les moyens d’atteindre l’équilibre qui caractérise la vie de la cité en paix.
1 On peut suggérer deux explications à cette simplification : d’une part, le surgissement de l’idée inconsciente de connotation sacrificielle de la victime (cf. R. Girard, La violence et le sacré, 1972 ou G. Rosolato, Le sacrifice, repères psychanalytiques, 1987) ; d’autre part, l’utilisation politique de la personne qui a été victime dans les dérives d’un jeu médiatique et politique compassionnel qui permettent de légitimer le politique lui-même et des projets de contrôle social fort.
2 On notera que ce n’est pas exactement la vision du Président de la République qui déclarait le 20 août 2007 : « Le premier des droits de l’homme à défendre, c’est le droit de la victime ».

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